Artistes et chercheurs à la Scène de recherche

Au moment de lancer la nouvelle saison de la Scène de recherche, explications de son directeur, Ulysse Baratin, et de Volny Fages, maître de conférence en épistémologie et histoire des sciences à l’ENS Paris-Saclay, coordinateur académique à la Scène de recherche.

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La Scène de recherche a vocation à accueillir, accompagner et développer les dialogues « arts-sciences » et la « recherche-création ».

Quelques précisions s’imposent. Concernant l’articulation entre les arts et les sciences, il y a plus de dix ans le physicien et philosophe des sciences Jean-Marc Lévy-Leblond avait fait deux remarques décisives : « Je n’ai aucune nostalgie de l’unité perdue des arts et des sciences » et « Si la science veut se faire culture, ce n’est pas en récupérant ou en arraisonnant la création artistique qu’elle y parviendra ; et si les arts veulent être en prise avec un monde dominé par les technosciences, ce ne sera pas en la plagiant ou en s’y inféodant ». Nous invitant à éviter les raccourcis simplistes, la pertinence de ce propos reste intacte. La Scène de recherche ne s’inscrit ainsi ni dans un projet de fusion des arts et des sciences ni dans une perspective d’instrumentalisation des arts par les sciences, ou l’inverse.

Quant à la notion de « recherche-création », la philosophe Carole Talon-Hugon s’est récemment élevée contre « l’anarchisme épistémologique » qui guetterait les tentatives de ces artistes « en habits de chercheur ». La Scène de recherche ne poursuit pas le fantasme d’une substitution de l’artiste au chercheur, pas plus d’ailleurs qu’elle ne défend spécialement des chercheurs en habits d’artistes.

Ces mises en garde par la négative étant faites, faut-il en conclure que l’activité artistique est étanche au travail de recherche scientifique ? Nous ne le croyons pas. La Scène de recherche est un espace où se développent les différentes modalités de ces relations, en évitant les chausse-trappes précédentes, mais sans a priori.

On remarquera d’abord que les activités artistique et scientifique ont la recherche en partage. Même si les conditions matérielles et les épistémologies peuvent être très éloignées, il peut y avoir parallélismes dans les démarches et protocoles. Cela est vrai pour les arts plastiques, le design, mais également l’art dramatique féru de « laboratoires » et temps d’expérimentations depuis plus d’un siècle. Sans qu’elles se confondent, la figure de l’artiste et celle du savant se ressemblent parfois et, pour reprendre la belle phrase de Claude Lévi-Strauss, « l’artiste tient à la fois du savant et du bricoleur : avec des moyens artisanaux, il confectionne un objet matériel qui est en même temps un objet de connaissance ».

Mettre en dialogue l’artiste et le scientifique peut avoir plusieurs avantages : au contact des scientifiques les esthétiques se renouvellent, s’appuient sur des analyses informées, dépassent les représentations fantasmées des sciences et de l’innovation ; au contact des artistes, les scientifiques peuvent voir leurs travaux mis en perspective et reconsidérer les évidences de leurs propres questionnements ou du sens de leurs résultats. Certains anthropologues des sciences nomment « catalyse profane » ce processus. En rendant possible ou en accélérant les réflexions, la Scène de recherche se veut catalytique.

À travers l’expérience des œuvres, le public peut éprouver du plaisir et en apprendre sur tel ou tel sujet de recherche. Mais ce rapport illustratif n’épuise pas les possibilités de ce type de rencontre. L’art théâtral peut s’emparer de contenus savants pour en faire des expériences sensibles, la scène étant « un espace unique et singulier d’expériences de pensée en acte » selon les chercheuses Marion Boudier et Chloé Déchery. L’expérience esthétique a un potentiel cognitif propre. Faire apparaître sur scène des idées, et tout particulièrement des idées scientifiques, permet de faire réfléchir le public à la signification de ces idées, à leur portée ou leurs implicites. Le point de vue artistique porté sur la  science peut être laudatif ou critique mais avant tout, il doit amener le public à s’interroger. Et ceci ne peut être réduit à une démarche didactique. Le dialogue ne veut pas dire l’accord et il n’est jamais si fécond que lorsqu’il ne trouve pas de solution consensuelle. Sous cet angle, la Scène de recherche se veut ouverte à l’expérimentation dans le sens où l’entendait le compositeur John Cage : « simplement une action dont l’issue n’est pas prévue ».

Cette saison offre une nouvelle déclinaison des différentes modalités de ce que peut être un dialogue entre artistes et scientifiques.

Participez au développement de la Scène de recherche en faisant un don pour l'accueil des artistes en résidence-création, la sensibilisation de tous les publics ou l'équipement Comedia dell'Arte. En savoir +